Ma coiffeuse ukrainienne
Olga, je l’aime bien, c’est ma coiffeuse, elle est d’origine ukrainienne et elle parle français avec un accent de son pays qui vous fait voyager…. Elle me fait penser à une danseuse du Bolchoï qui se serait perdue dans un salon de coiffure populaire. Elle déplace sa silhouette de chat entre les fauteuils d’un autre temps, et ses cheveux, tirés très en arrière et rassemblés en une fine queue de cheval, évoque des souvenirs d’enfance (du temps où sa mère lui faisait des tresses tellement serrées qu’elles lui servaient aussi de « lifting » m’a-t-elle avoué l’autre fois !) Nous en avons ri… Aujourd’hui, Olga est triste, elle a perdu son père il y a quelques semaines et elle me raconte. Sincère, Olga a du passer par des moments de vie que je devine douloureux. Son arrivée en France, sans connaitre un mot de français, avec sa petite fille en bas âge, trouver un travail, s’adapter, faire vivre sa famille… Aujourd’hui, Olga est grand-mère – mais orpheline de son papa – et je sens les racines de sa vie s’ébranler, comme tremble le son de sa voix aux souvenirs de tout ce que son petit papa a fait pour elle ! Et puis, comme Olga est en train de travailler au-dessus de ma tête, elle ravale ses larmes et moi je lui décroche mon plus beau sourire, et lui livre ma tête en pâture…. Je me dis qu’il n’est pas bon pour moi qu’Olga pleure ou que ses yeux se noient de larme, elle pourrait rater « l’œuvre » sur mon crâne.
Permis de vivre.
La météo – en ce samedi – est déjà bien assez morose. Il pleut des cordes sur la ville, le ciel est triste, et j’ai choisi cette journée pour mettre des couleurs dans mes cheveux. De l’évocation difficile du décès du « papa » et sans aucune transition, nous parlons maintenant du permis de conduire. Olga a dû se payer plus de 70 heures de conduite pour que le machin-truc-chose de l’auto-école accepte de lui faire passer l’examen et qu’elle obtienne haut la main ce précieux bout de papier qui certifie que, malgré son passé, malgré son langage chargé d’histoires ukrainiennes, Olga est définitivement acceptée dans le grand monde des conducteurs de la route. Cette femme a appris l’art du rond point, du créneau entre les puissants 4 x 4 des hommes d’affaire du sud, et le coup d’œil dans le rétro en quittant son stationnement, pour vérifier si la mèche est toujours bien tirée et qu’aucun danger ne guette…. Elle a du fêter cela, Olga ! Avec sa fille et son amoureux. Elle me dit juste qu’elle est fière d’y être arrivée, mais qu’elle ne conduit pas, elle n’a pas encore acheté sa voiture !
Le minuteur sonne, ma couleur est terminée, direction le bac à shampoing. Je me retrouve la tête renversée, avec Olga qui me masse le crâne et me conseille d’éclaircir ma couleur la prochaine fois… pour essayer ! Mais non, Olga je veux rester avec ce noir, qui me colle au crâne comme une couleur de rébellion, de tête de cochon, de « Si tu m’emmerdes, tu vas voir ce que tu vas prendre ! » Cette couleur me protège, c’est mon talisman…. contre les influences maléfiques des mauvaises personnes. Je croyais avoir tout vécu avec Olga dans ce salon de petite envergure proche de mon village. J’avais cotoyé les petites mémés aux couleurs de cheveux improbables, discuté une fois avec une jeune fille strip-teaseuse dépressive qui racontait ses déboires sentimentaux, aimé parler travail avec l’ancien coiffeur gay qui rêvait d’ouvrir un salon pour pouvoir coiffer sa mère tous les jours de l’année…. mais je n’avais encore pas vécu CELA !
Au moment où je ne m’y attends pas, pensant qu’Olga m’amène au fauteuil pour démarrer le brushing final, elle dévie légèrement le pas, et me plaque sans un mot sous le casque des tortures. Vous voyez de quoi je veux parler ? Je vous parle de ça, le monstre chauffant sur pied, avec système modulable et visière en plastique qui se relève !
Diantre. A ma mine déconfite, elle m’assure qu’avec ce temps (pluie intense et très très grande humidité de l’air !), aucun brushing classique ne peut suffire à modeler ma crinière de lionne – et que – « comme je le vaux bien » >> pffuuuuuuuuuiiiiiiiiiiiit ! le casque ! Je n’ai qu’à bien me tenir et à attendre patiemment que la chaleur diffuse du séchoir travaille pour moi. Sur quoi, elle se met à me garnir la tête de bigoudis bleus énormes, qu’elle pique avec de bonnes vieilles épingles marrons pour les faire solidement tenir sur mon crâne noirci.
Et hop, un tour de minuteur, je n’ai plus qu’à prendre mon mal en patience. Alors, seule face au miroir, affluent d’un seul coup des tonnes d’images clichés. De vieilles femmes aux pommettes cramoisies lisent un magazine populaire à scandale, des femmes aux têtes remplies de bigoudis multicolores et aux couleurs de cheveux bleus cendrés discutent du repas dominical à préparer, des visages très ridés, des femmes d’un autre temps rêvent sous le bruit entêtant du casque chauffant, seules, isolées du reste du salon par cette chape de chaleur.
J’ai cent ans aujourd’hui, j’ai basculé du coté des femmes à bigoudis qui froncent les sourcils à cause de la chaleur des séchoirs sur pied.
Pour en rire davantage, je vous invite à regarder le travail de Fabrice Guyot, qui a photographié le quotidien de petits salons de coiffure parisiens fréquentés par de très vieilles dames pendant 5 ans. Entre mises en plis, bigoudis et colorations…
Fabrice Guyot, coiffure pour dames.
Les photos sont extraites du portfolio de Fabrice Guyot, tous droits réservés.